mercredi 11 mars 2009
Un mensonge sur mon père, John Burnside
Je voudrais mettre en rapport ce roman avec un événement récent et l'analyse qu'en fait Elisabeth Levy dans Causeur : il s'agit de la (sinistre, en fait) remarque de Séguéla avec sa montre : Ce que voulait dire Séguéla, (écrit Elisabeth Lévy), c’est que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue si on n’est pas du côté du manche. Et ça, il n’est pas le seul à le penser. Si son aveu a déclenché un tel torrent d’indignation, c’est précisément parce qu’il est un aveu. Et qu’il ne vaut pas que pour lui.
Voilà un roman écrit par un narrateur dont la famille n'était pas du côté du manche ; dont le père a eu à lutter contre d'irrépressibles démons intérieurs qui en ont fait une personne odieuse. Enfant abandonné, trouvé, baladé, enfant dont personne ne veut, non-personne, il s'invente des vies et tente de demeurer fidèle à l'image de l'homme dans son milieu : un homme dur, ferme, un homme qui, par exemple, ne manquera jamais une seule journée de travail même s'il est rentré ivre-mort la veille. Autour de l'enfant tout le monde sait, mais nul n'y peut rien.
Dans ce roman, le père nous échappe constamment ; comme son fils, nous ne pouvons savoir d'où il vient, à peine ce qu'il fait. Il travaille sans cesse, car c'est un homme courageux et qui assume. Il fait vivre l'enfer à sa famille, qui ne peut être qu'elle même en dehors de sa présence. L'auteur tente de tracer les contours de cet homme qui reste déséspérement flou, un père en creux, adulte comme enfant. Il s'oppose et humilie constamment son fils, qui lui résiste étonnament, avec une force et une violence qu'il tientprobablement de lui-même : en fait, on sent que ce petit garçon renvoie, maladroitement, à son père, l'image de sa propre violence.
Ce père me touche affreusement, parce que nous essayons tous d'être de bons parents, mais qui dit qu'il n'y a pas en nous une petite once de parents destructeurs. Quand on sait comme c'est dur d'être parent, parfois, on se sent rempli de pitié pour ce père lamentable, nul, blessé par la vie comme on ne peut pas imaginer l'être et qui reproduit un autre malheur sur ses enfants : comment, dans de telles situations, arrêter le cours inexorable du temps?
Dès le début le ton est donné : l'auteur se trouve face à un auto stoppeur qui lui parle de son propre père avec une candeur admirative que l'auteur ne peut enviosager d'entamer. Comment dire son père, comment raconter en peu de mots le père qu'il a eu? Alors, explique-t-il, il fait ce qu'ila toujours fait, il dit un mensonge sur son père : car le mensonge est si pratique, et le narrateur le sait, comme son père : il permet de si facilement proposer aux gens une version correcte et respectable d'une vie qui ne l'est pas forcément. On est élevé dans le culte de la vérité, mais certaines verités ne peuvent tout simplement pas se dire, il n'ya pas de mots pour les décrire, les mots les rendent trop douces, ou trop dures – inexactes : le mensonge offre un confort merveilleux, et permet de renvoyer à l'interlocuteur une image facile, sympathique, aisément perceptible.
Et de même, à la fin du livre, l'auteur réussit-il à faire vivre dans sa mémoire une petite image, faible comme la flamme d'une bougie, de son père, une père convenable, dans laquelle il n'est ni violent ni haissable ; et il prévoit d'utiliser cette image pour parler de son père à son fils. Car, note le narrateur, les pères racontent toujours des fables à leurs fils, même s'ils ne s'en rendent pas compte. L'auteur se trouve donc pris entre une réalité indicible, incorrecte, qui ne ferait pas de bien à qui l'entendrait, et la facilité doucereuse du mensonge, pour créer une image de père plus convenable.
Des avis là, là, là et là.
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