
Comme je l'ai dit dans le post précédent, je veux parler de ce qui est beau et m'émeut ou me transporte.
Je connais très peu de choses en peinture, et j'ai été longtemps réfractaire aux musées, que je trouvais ennuyeux et difficiles à comprendre. Il fallait marcher des heures et regarder des tableaux, que souvent je n'aimais pas.
Un ami peintre m'a fourni une clef aussi surprenante qu'efficace bien que le manque de temps m'aient empêché de la mettre en pratique.
Comme je lui faisais remarquer que je ne connaissais rien en peinture et que je ne savais pas regarder les tableaux, il s'énerva et me dit :
- N'importe qui peut regarder un tableau, ils ne sont pas faits pour être regardé par des spécialistes. Tout le monde peut les regarder. Ce sont les critiques qui enferment l'art. Voilà ce que tu vas faire : va dans un musée, choisis une ou deux salles, regarde bien les tableaux, sans te casser la tête, et choisis les trois que tu préfères, et demande-toi pourquoi tu les préfères, même si c'est pour une raison que tu trouves idiote, par exemple, parce que partie de l'image te fait penser à des vacances, ou à la maison de ta grand mère, ou à une pub que tu aimes. La semaine suivante, retournes dans la musée, dans la ou les mêmes salles, regarde à nouveau les tableaux, demande -toi à nouveau pourquoi tu les aimes, regarde les tableaux d'une autre salle, choisis à nouveau tes trois préférés, même si ce sont les mêmes, età nouveau pourquoi ce sont tes favoris. Et ainsi de suite. Si tu fais cela une fois par semaine, en deux ans tu pourras être un vrai critique d'art.
Evidemment cette méthode m'a plu, même si je ne l'ai pas appliquée à la lettre.
Elle m'a amené à observer les choses gratuitement, sans honte de ne pas savoir, et en tête à tête avec moi-même.
Voilà donc pourquoi j'aime ce tableau de Matisse, dont je ne sais où il est exposé.
Je ne comprends pas ce que sont les panneaux muraux derrière la femme allongée, mais les motifs me rappellent ceux des papiers peints de la maison de mes grands-parents. Ces motifs et le souvenirs qu'ils éveillent chez moi évoquent un univers proustien, maisons bourgeoises, campagne, chambre, odeurs de renfermé et d'humidité. Je descends les escaliers de bois qui craquent, j'arrive en bas, à la porte d'entrée, je l'ouvre et je sens l'odeur de la campagne l'hiver, l'air froid, je frissonne et je sors me promener avec mon grand père.
A ce stade, et déjà passée dans une sorte de demi monde de rêve, qui est la femme au premier plan? C'est ma tante, lorsqu 'elle était jeune, déguisée pour une pièce de théâtre où elle jouait le rôle d'une mauresque.
Qui est-elle vraiment? Le mobilier n'a rien d'oriental, est-ce un modèle à l'arabe dans un cadre occidental? peu importe.
J'aime la pose de la femme, fatiguée, mais détendue. J'aime les jaunes dorés qui suggèrent luxe, bijoux, futilités, entrelacs inutiles.
Enfin, je pense à un poème de Verlaine, ou au début :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m'aime, et me comprends.
Et vous? Que vous suggère ce tableau, même s'il ne s'agit que de quelques mots? Laissez-vous aller...